Nous poursuivons notre série Vie d’ici avec Tiapa Langevin, 90 ans, dont plus de 60 à vivre du métier de guide. L’homme vit dans un décor de rêve, au Pays des Écrins, à Vallouise exactement. Tapia, c’est la mémoire du clan des guides. Pour aimer la montagne, pour se laisser emporter par sa majesté, pour oser la défier, il est des personnages incontournables. Paroles d’un passionné…
Comment êtes-vous devenu guide ?
J’avais fait un peu de ski et de montagne avec mes parents vers 12 ans, cela m’avait beaucoup plu. Etant devenu ensuite instituteur, je grimpais à Fontainebleau tous les dimanches. Mais la guerre est arrivée et je suis entré dans la résistance. C’était une époque difficile, une partie de ma famille a été déporté, mon cousin et moi avons été arrêtés, mais par miracle, j’ai été libéré… Aussi, après la guerre, j’étais devenu "cabochard", et j’ai démissionné de l’Education Nationale pour pouvoir m’entraîner et devenir guide. En 1952, je deviens ainsi aspirant guide, et avec Paul Keller, nous devenons les premiers guides de haute montagne parisiens !
Regard sur la profession… qu’est-ce qui a changé dans la pratique ?
Le matériel. Je pense être un des derniers à avoir utilisé des cordes en chanvre. Je me rappelle également des premiers chaussons. La marque de pneus Pirelli® a mis au point la 1ère semelle Vibram®, imaginée à partir de pneus. Une fois récupérées, nous avons amené ces semelles chez le cordonnier afin de les fixer à nos chaussures ! Aujourd’hui, on porte également du matériel moins lourd, sécurisant par là-même, la pratique.
Mais ce qui a le plus changé, c’est notre connaissance de la météo. Maintenant, on connait les conditions en montagne 3 jours avant, au lieu de 3h, ce qui permet de partir avec le matériel adapté.
Qu’est-ce qui a changé dans la relation aux clients ?
Il y a une vingtaine d’années, 150 personnes par jour faisaient la traversée du Pelvoux en pleine saison. Aujourd’hui, on croise 20 personnes le 10 août ! Aussi, les clients aimaient faire 6 ou 7 longueurs, partir tôt le matin. Désormais, ils préfèrent partir plus tard et être de retour pour le café à 14h, cela réduit la taille des courses, et donc leurs intérêts.
A vos yeux, la plus belle montagne, la plus belle course, le plus beau sommet ?
Même les guides de Chamonix acceptent de dire que la traversée de la Meije reste la plus belle course des Alpes… Il n’y a nul besoin d’être un virtuose en escalade mais il faut savoir poser les pieds, marcher en crampon, poser un rappel.
Quelles sont les spécificités du Pays des Ecrins que l’on ne retrouve pas ailleurs ?
Il existe 3 endroits où l’on fait de l’alpinisme : Chamonix, Zermatt, et Vallouise/ La Bérarde où se trouvent la Meije, les Ecrins, le Pelvoux. Les autres vallées comme en Maurienne sont entourées de collines d’altitude…
Un souvenir épique dans les Ecrins ?
C’était en 1954 ou 55, je faisais un stage à Ailefroide avec un groupe dans lequel il y avait Jean Vernet, défricheur de voies principalement dans l’Oisans, co-fondateur de la première section Montagne, en 1952. Au cours de la soirée, je m’absente et pars à l’Hôtel Engilberge chercher un copain, George Charpak, prix Nobel de physique. Et lorsque l’on revient, Charpak et Vernet tombent dans les bras l’un de l’autre et pleurent… Pour l’histoire : ils avaient tous les deux étaient déportés à Dachau où Vernet était responsable de la résistance dans le camp, et où Charpak avait attrapé le typhus. Normalement, dans les camps, les malades étaient rapidement éliminés. Mais Vernet et les autres détenus ont donné une petite partie de leur repas à Charpak et l’ont caché pendant 8 jours, il a ainsi survécu…